1. Pourriez-vous tenter le portrait d’un animal dont vous pourriez dire : « c’est une belle personne » ?
C’est une illusion de penser que nous devenons des humains par nous-mêmes. Je ne crois pas aux personnalités « table rase » qui prétendent se construire en dehors des autres. Au contraire, nous héritons de ces personnes belles ou moins belles, modèles et contre-modèles.
J’ai aussi reçu ma part de ces rencontres animales, et un véritable trésor d’un de mes chiens. C’était un griffon, femelle, merveilleuse par son audace, sa fidélité, sa confiance. Elle m’a donné sa confiance jusque dans son euthanasie. Elle reste par exemple très présente lors de décisions médicales difficiles. Nous constituions ensemble un véritable amalgame alchimique, et je reconnais encore beaucoup de ses attitudes dans mes propres réactions. J’ai été transformé au sens passif par cette « belle personne ».
2. Peut-on admirer « l’animalité ? » Ou admirer l’animal… Ou quoi, dans l’animal ?
J’admire dans l’animal cette dimension du plus étranger. Lorsque vous tombez amoureux, vous désirez connaître tout de l’autre, sa vie, son monde, et l’autre devient cette autre contrée étrangère où vous êtes émigré. L’animal est aussi pour moi ce plus étranger. Il devient parfois votre compagnon (celui qui partage votre pain), et vous vous enrichissez de toute cette étrangéité animale, qui vous ouvre un monde très loin du vôtre. Vous découvrez alors un pays si loin de votre propre « animalité ».
3. Retombées de la crise, effets de civilisation : avez-vous constaté que les animaux présentaient des pathologies en réaction à cette évolution?
Il y a selon moi deux phénomènes de la civilisation responsables du mal-être des animaux : d’une part la sélection à outrance dans les races d’élevage liées à des contraintes de production toujours plus folles, et d’autre part une hyper-sélection esthétique dans les races de chats et de chiens qui produisent des animaux dotés de tares organiques qu’ils doivent endurer toute leur pauvre vie. Nombre de pathologies sont liées à ces activités de sélection déraisonnées. Je suis triste de voir à quel point ces sélections génétiques nous font marcher sur la tête.
4. Bachelard a écrit : « Les animaux sont les plus anciens compagnons de nos songes ». Comment entendez-vous cette phrase ?
Le tout petit enfant sourit à sa mère quand elle lui sourit, est anxieux quand il entend la colère des adultes, est fasciné par les chatons et les chiots, a peur du chien qui aboie… Autant d’attitudes pré-linguistiques qui prennent tout leur sens ensuite dans l’acquisition du langage. On pourra ainsi dire des animaux comme des humains qu’ils souffrent, qu’ils sont sourds, qu’ils entendent, qu’ils sont conscients, ont peur… Nous ne le dirons pas d’une table, d’une chaise ou d’un ordinateur.
Après, les choses changent… Les songes sont maquillés, les mots sont travestis.
Dans la vie d’adulte, nous emmenons nos mots en roue libre : ils perdent leur sens. Certains affirment même que les animaux ne souffrent pas, qu’ils sont un outil de production, un matériau d’expérimentation, etc. Et nos réponses aux questions du petit enfant sont bien peu fournies lorsqu’il nous demande : « Pourquoi mangeons-nous les animaux ?», « Pourquoi met-on des manteaux de fourrure ? » …
Bibliographie de Philippe Devienne :
Les animaux souffrent-ils ? (Le Pommier)
Penser l’animal autrement ( L’Harmattan)