Sans doute l’ami aura enregistré malgré lui l’outil déclencheur dans son champ visuel. Je me garde de croire à une syntaxe des coïncidences qui nous adresserait un langage crypté. Mais tout de même, la sensation est sidérante d’une intentionnalité comme tapie sous les choses, drôle et cruelle à la fois.
D’où vient en nous ce trouble plaisir qui survient alors, d’un « accord de phénomènes » identifiable dans la cacophonie du monde ?
Ce sont de toutes petites paroles qui n’ont besoin de rien.
Nous frôlons les bords fleuris des jolies villas. Le clairon des forsythias perce l’œil au passage, les oiseaux sont en folle conversation, les enfants sortent des écoles. Mon ami s’est retourné : « Je ne sais pas comment te dire, je suis… je suis…. » Rien ne vient : il se remet en chemin et moi aussi. Toute petite file indienne de malheur, quand soudain il trébuche sur quelque chose.
Il bascule violemment, se rattrape de justesse, et voilà que les mots lui sortent de la bouche : « Je suis assommé, c’est ça, assommé ! » Il a déjà filé à trois bons pas devant moi quand je baisse les yeux.
Un marteau. Mon ami assommé s’est pris les pieds dans un marteau.
Un marteau oublié là, en travers du trottoir. Un bon gros marteau d’artisan alors qu’il n’y a pas trace de chantier alentour, qu’on le voit mal s’évadant d’un coffre de voiture. Un marteau tout exprès guettant un passant à percuter.
Je rejoins un ami dont la femme très malade est opérée en urgence. Il ne sait trop quoi dire, moi non plus. Nous attendons. Mon ami me propose d’aller prendre un café plus haut, dans la ville. D’accord. C’est un beau jour de printemps.
Je le suis en silence sur le mince trottoir : nous remontons le long des carrosseries. Il avance sans se retourner, plus voûté que d’habitude, son corps semblant se rétracter sous l’événement, échapper à la lumière. Parfois il me balance un mot par-dessus l’épaule que je ne comprends pas, je lui en envoie un qu’il n’entend pas, mais rien n’est à répéter.